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Retour en zone de confort

Abécédaire du management. Z comme Zone de confort


Souris animatronique, Ryan Gander, artiste plasticien, Bourse de Commerce Paris, collection Pinault
Souris animatronique, Ryan Gander, artiste plasticien, Bourse de Commerce Paris, collection Pinault

Ce n'est pas tant l'expression qui est gênante que l'injonction qui l'accompagne. Quand on parle de zone de confort, c'est pour dire qu'il faut en sortir. On entend bien la charge culpabilisante nichée dans cette expression. A-t-on jamais entendu quelqu'un dire que son projet de vie était de rester peinard dans sa zone de confort ? Au contraire il n'est pas rare d'entendre quelqu'un s'enorgueillir d'en être sorti et d'autres se désoler de ne pas parvenir à le faire. Car l'implicite de la formule est que si on n'en sort pas, c’est qu'on est médiocre. Elle colle parfaitement à l'obsession contemporaine : s'augmenter, optimiser sa vie... alors même que l'actualité du monde nous invite à penser que bientôt peut-être notre principale préoccupation sera juste de la préserver !


Un mal pour un mieux ?

Pour l'heure prenons pour argent comptant cette idée que se mettre dans l'inconfort serait le meilleur moyen, si ce n'est le seul, de progresser et d'aller vers un mieux-être. Si l'on y regarde de près, c'est une idée très moralisante et contestable. Elle rappelle la promotion judéo-chrétienne de la souffrance comme garantie de récompense (souffrir pour être belle, obtenir quelque chose à la sueur de son front...). Elle est contestable dans sa promesse d'un mieux-être obtenu à force de prises de risque et de difficultés surmontées.


Des souris et des hommes

L'expression remonte à plus d'un siècle. Elle vient de deux psychologues américains (1) qui faisaient des expériences sur des souris. Ils évaluaient leur capacité à entrer ou sortir d'une boite où elles étaient enfermées en leur administrant des chocs électriques. Leur objectif : déterminer le niveau de stress nécessaire pour réussir la sortie de boîte. Ils observent que « l'anxiété améliore les performances jusqu'à un seuil optimal » propre à chaque sujet, mais qu'à « un niveau plus élevé d'anxiété, cet effet se détériore ». Appliquée à l'activité humaine, la zone de confort c'est donc l'état psychologique où on se sent à l'aise, gentiment performant, au mieux de ce qu'on sait faire.


Le diktat de la sortie de zone

Alors pourquoi faudrait-il donc en sortir ? Parce qu'il ya danger ! répond une psychologue 80 ans plus tard (2). Cette gourou de la réussite personnelle et organisationnelle fustige les salariés englués dans la routine qui ne vont pas au delà de ce qu'ils savent faire. Ceux-là se sabotent eux-mêmes et privent l'organisation de la prise de risque nécessaire pour innover. Son livre est devenu un manuel de management dans les années 90. Et pour cause ! Son discours colle aux valeurs de l'époque : le culte de la performance (3) , l'individu conquérant de sa réussite sociale, etc. A partir de là, sortir de sa zone de confort a été un diktat, non démenti depuis 30 ans. On a grandi avec et personne n'aurait osé prendre le contrepied. Jusqu'à ce que...


Unbossing

Le vent a tourné. Les jeunes, les très jeunes, la Gen Z comme on dit, se demande : Quel mal y'a-t-il à se satisfaire d'une vie tranquille déjà assez coûteuse à préserver ? C'est quoi cette idée de sacrifier son bien-etre au nom d'un mieux-être potentiel ? Monter en grade, prendre des responsabilités, faire carrière... ? Bof, pas mon sujet. Pour eux, l'ambition, l'accomplissement social sont des ovnis. Aussitôt identifiée, aussitôt nommée : la tendance s'appelle Unbossing. Les mots anglais ont l'immense avantage d'être compacts. Pas de traduction litterale possible. De l'anglais boss, manageur, bosser est devenu par extension synonyme de travailler. Unbossing, c'est quelque chose entre le refus des responsabilités managériales et le refus de s'accomplir par le travail. Le dépassement de soi par l'ascension professionnelle serait-il dépassé ? Challenges, ascension, réussite... et si ces mots ne faisaient plus sens ?


Le unbossing fait écho au credo de cette génération qui rejette l'idée de croissance continue. Elle associe richesse non à abondance mais à suffisance. Pourquoi vouloir faire plus alors qu'il faudrait faire moins et se concentrer sur l'essentiel pour préserver le monde ? Perspective impossible à concevoir pour leurs aînés biberonnés au développement perpétuel.


Restez-y !

L'exhortation à sortir de sa zone de confort ne colle plus à l'époque. Cessons alors de la mépriser. Trouver sa zone de confort c'est déjà tout un travail ; savoir où on est bon, où on est juste, requiert de l'expérience et une sacrée maturité. Alors élargissez-la, préservez-la et restez-y.



Christiane Rumillat, 8 mars 2025


Notes

 (1) Robert Yerkes et John Dodson (1908)

(2) Judith Bardwick, Danger dans la zone de confort, 1991, traduction française 1995

(3) Titre d'un livre du sociologue Alain Erhenberg, 1991

7 Comments


Christine Batteux
Christine Batteux
il y a un jour

article intéressant et...questionnant!

effectivement la recherche de sa zone de confort est totalement légitime et le fait de s'y maintenir quand on l'a atteinte ne l'est pas moins!

mais quid du processus de l'habituation hédonique qui consiste en un phénomène d'habitude voire d'usure envers ce qui nous rend heureux...et qui est d'ailleurs très subjectif!

peut être que le fait d'en sortir un peu pour en retrouver une nouvelle constitue aussi une dynamique de réalisation de soi... à condition de ne pas en payer un prix lourd!


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ChrisR
ChrisR
il y a 5 heures
Replying to

Oui bien sûr, merci de le rappeler car je n'appuie pas là dessus dans mon article. Loin de moi l'idée de faire l'apologie de l'inertie et de la couette à vie (ou alors je suis en train de filer du mauvais coton !). Ce qui m'a intéressé c'est davantage la critique d'une injonction stigmatisante qui se donne des allures d'évidence depuis des décennies.

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as.schlienger
il y a 2 jours

Il m'est arrivé de sortir de cette zone dite de confort et d'y trouver satisfaction... Mais où était elle vraiment ??

Merci Christiane pour tes articles qui poussent à la réflexion

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Gilles de angelis
Gilles de angelis
il y a 3 jours

 Merci Christiane pour cet article comme toujours très pertinent et qui fait écho à ma propre expérience professionnelle. Sortir de sa zone de confort ça signifie aussi renoncer en partie à ses valeurs ( vie familiale et amicale,épanouissement personnel ) pour courir après des injonctions qui sont bien vaines.

Les jeunes générations ont raison, j admire leur lucidité !

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gilbert.dombrowsky1
il y a 3 jours

Bonsoir Christiane,


Pour apporter mon commentaire à ton article, j'ai besoin de savoir ce que tu/on dis/dit concrètement, matériellement par "sortir de sa zone de confort". En attendant ta réponse je te souhaite une bonne fin de dimanche, Oh je m'aperçois que c'est celui de Carème, fini le confort des ventres!

Bises  Gilbert

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Gilles Grand
Gilles Grand
il y a 4 jours

D'accord a 100% avec le début de l'article. La seule fois ou j'ai entendu cette injonction (de la part d'une collègue syndicaliste...hum) cela m'a mis extrêmement mal à l'aise et il m'a ensuite fallu beaucoup de temps pour réaliser que c'était a la fois culpabilisant et non pertinent, dans mon cas au moins. Le unbossing n'etait pas pour moi forcément corrélé a la question du confort, mais pourquoi pas...

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